we must fight to survive.Atlanta, mars 1979. A cette date, Andrew Carroll, professeur de Russe reconnu dans l'université où il travaillait, apprenait une nouvelle qui le réjouit et va définitivement changer sa vie. Le métier de professeur lui plaisait pour plusieurs raisons. Tout d'abord, la langue évidemment. Il faudrait être fou pour se lancer dans une carrière linguistique sans aimer les langues, après tout. Mais elle n'était pas son seul intérêt, il se passionnait également depuis l'adolescence pour ce pays, cette civilisation riche en histoire et pourtant si jeune comparée à d'autres. La culture aussi bien littéraire, qu'artistique, à tout niveau, l'intéressait. Les femmes russes, comme il le disait si souvent, étaient les plus belles du monde entier. Au premier abord, angéliques et froides mais finalement chaleureuses et parfois étonnamment extraverties. Elles l'ont surpris bien des fois, lors de ses nombreux voyages en Russie. Et il tomba d'ailleurs amoureux de l'une d'elles, en décembre 1981. Elle s'appelait Sofia Volonski et avait les yeux revolver, les yeux qui tuaient. Andrew sût qu'une longue histoire les unirait dès les premiers coups d'oeil, une histoire qui mêlerait amour, complicité mais aussi secrets et discrétion. Ce que Sofia ne saurait jamais, c'est qu'Andrew n'était pas qu'un simple professeur, c'était aussi un agent secret envoyé en Russie pour récupérer des informations, disons confidentielles, d'une entreprise militaire ennemie à celle où il travaillait également en Amérique. Andrew s'était engagé à vivre une double vie, qui serait sous le signe de bien des tiraillements. Un premier pays, puissant et fier, dont il est originaire, qu'il ne peut renier. Un second pays indépendant, en plein développement et aux milles et une facettes, qui l'attire tout autant. Un pays où tout le rattache, un autre où l'amour le retient. Où ses deux enfants Aleksander et Lindsey verront la vie pour la première fois, dans un cocon qu'il veut rassurant et résistant. Sofia et les enfants ne savaient rien de tout ça et pourtant, ils étaient heureux. Parce que son professionnalisme lui permettait de mentir, de cacher cette double vie sans pour autant nuire à son foyer. Ce qu'ils savaient de tout ça ? Simplement que cet homme était originaire de Géorgie où il enseignait le Russe. Qu'il avait préféré venir en Russie pour le perfectionner plus encore. Et cela suffisait.C'était un soir d'hiver, dans notre maison à Saint Petersbourg. Je me souviens encore de ce feu de cheminée qui crépitait vivement sous mes yeux, au rythme d'une musique tsigane, dont ma mère était amoureuse depuis toujours. Je me souviens de son regard intéressé sur moi, de ses mains dirigées vers moi, m'invitant à la rejoindre sur le canapé cosy, couleur bordeaux. Elle voulait que je la rejoigne, que je m'allonge à côté d'elle, ma tête sous ses yeux, afin de pouvoir s’entraîner à réaliser une quelconque coiffure, encore. Mais j'étais attirée par ces flammes qui dansaient, s'entremêlaient les unes aux autres. J'appréciais la chaleur qui s'en échappait, au point d'approcher de trop près mes mains, jusqu'à ce que mon frère de trois ans mon aîné survienne pour taper peu fortement mes mains, pensant certainement que j'allais me brûler. Je n'avais que trois, ou quatre ans tout au plus. Mon frère avait rejoint ma mère, prenant la place à laquelle j'étais habituée. Peu importe, mon père venait d'ouvrir la porte d'entrée et pénétrait à l'intérieur de sa maison, celle qui l'attendait toujours impatiemment, celle qui jalousait quelque peu son travail. Je courrais et sautais dans ses bras toujours si accueillants, si chauds. Non, c'était lui tout entier, qui était chaud. C'est l'image du père que j'avais et que j'ai toujours aujourd'hui. Les moments que l'on passait tous ensemble n'étaient jamais malheureux, nous étions unis et confidents, hormis peut-être mon frère et moi, lorsqu'il entra dans l'adolescence. Il n'y avait personne à blâmer, c'était un passage à passer. Pour ma part, j'étais une fillette plutôt docile, calme et observatrice. Je ressemblais beaucoup plus à ma mère qu'à mon père, d'après ses propres dires. Aleksander a hérité du prénom à consonance russe, moi américaine. C'aurait dû être le contraire, je l'ai toujours pensé. Car mon frère a tout de l'Américain type. Il est très sociable, vivant, grande gueule, à l'aise dans n'importe quelle situation. Quand on le regardait, on voyait un être chaud, plein d'espoir. A côté, j'ai toujours été plus sauvage, sur la réserve quand je suis en situation inconnue... Tout comme ma mère. Alors j'aurais aimé porter un prénom russe. Mais il en avait été décidément autrement, je n'allais pas me plaindre à ce propos, c'était le cadet de mes soucis.
Assise dans ce fauteuil où j'étais si à l'aise plus jeune, je laissai mon regard s'aventurer sur les photos collées aux pans de mur de ma chambre de fillette et d'adolescente qui retraçaient toute ma vie en Russie. A cette époque-là, tout était aussi rose que ces fleurs imprimées sur ces quatre murs. A l'époque, je ne me souciais de rien. Je pensais que cette famille était invincible, plus forte que toutes les autres. C'était en tout cas ce que je lisais dans leur regard. Mais la vie n'est jamais prédéfinie d'avance, des regards ne sont en aucun cas des preuves d'une quelconque force. Et j'allais l'apprendre au fur et à mesure que les années allaient s'écouler. Difficilement, non sans peine, non sans regrets.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]« Beeurk. » A moitié affalée sur mon fauteuil fétiche, je tournai mon visage vers la porte qui venait de s'ouvrir et principalement, sur ce gringalet qui tirait une grimace. Il avait désormais pris l'habitude de dire ça lorsqu'il rentrait dans ma chambre. Il valait mieux pour lui que je sois pacifiste et que je m'y habitue, il aurait pris une paire de claques sinon. Mes pulsions intérieures étaient bien existantes, je ne le lui rappelais certainement pas assez, cependant.
« Chaque fois que je rentre dans cette pièce, je déteste un peu plus le rose. Et les fleurs. A cause de toi, ma femme n'aura jamais de fleurs. Bouuh. Ta faute. » Je levai les yeux au plafond. Que je le pardonnasse pour ça, il n'avait que dix-huit ans. Il ne faut jamais être trop exigeante avec un garçon de moins de vingt ans, croyez-moi. Surtout un frère !
« Et sinon ? Si t'en es réduit à parler du papier peint de ma chambre pour la énième fois, c'est sûrement que pour la énième fois aussi, tu n'as rien de plus intéressant à me dire, non ? » Je souriais bêtement en attendant qu'il reparte, mais il me répondit par un sourire plus niais que le mien encore et vint s'allonger sur le lit. C'était rare que mon frère prenne le temps de venir me raconter quelque chose de personnel. Oui, s'allonger sur mon lit voulait tout dire. Je le fixai alors, cherchant à comprendre. Son regard à lui visait un cadre photo de notre père et c'est à ce moment-là, en regardant l'expression de son visage, que je découvrais une nouvelle fois la faiblesse si bien cachée de mon frère. Celle que nous partagions ensemble, plus ou moins secrètement.
« S'il nous l'avait dit... Je n'aurais rien dit. Toi non plus, maman non plus. Alors pourquoi il nous a menti, Lin ? Nous étions unis, tout du moins c'était l'image que j'en avais. » La vie cachée de mon père nous avait explosé à la figure peu après son décès ou plutôt devrais-je dire son assassinat. Tout, vraiment tout fut dévoilé au grand jour. Des tonnes de papiers, des explications désormais semblant si futiles pour le gouvernement américain. Cela faisait bientôt dix mois qu'il était mort, mais sa présence était toujours bien là, dans cette maison. Je le sentais, l'entendais, tout comme Aleksander.
« Tu ne sais pas comment tu aurais organisé ta vie, si tu avais été sa place. C'était son métier, Alek et tu vois, je pense qu'il valait mieux qu'on ne soit pas au courant. » Finis-je par dire, non sans afficher une mine triste. Bien évidemment, j'aurais aimé qu'il me parle de toute cette vie cachée, à moi aussi. Mais j'aurais eu peur pour lui, nuit et jour, en sachant ce qu'il faisait. Jusqu'à ce que son heure sonne comme le destin l'avait prévu pour lui. Non, cela aurait été invivable. Alek ne lâchait pas cette photo des yeux, où nous étions tous les quatre, assis dans le salon, souriants. Cette photo était définitivement plaisante à regarder.
« Je ne sais pas. Nous l'aurions peut-être protégé, qui sait. » Mon frère dit cela d'un ton assez convaincu, avant de se redresser et de se diriger vers la porte. Avant de quitter la chambre, il se tourna vers moi.
« J'ai peut-être presque tout pris de lui, mais tu as ce même air posé et réfléchi que lui, quand il essayait de me persuader que j'avais tort. Et tu hausses les épaules, tout comme lui. » Il souriait. Je ne savais pas comment prendre tout cela. Bien, sûrement. Mais ces futiles détails me rappelaient surtout combien mon père me manquait.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]« Joooyeux aaanniiveeeersaiire, joooyeux aaaanniversaire Linds !!! » Ils étaient tous là, oh, ce fut difficile de distinguer tous les différents visages rapidement, mais ils étaient tellement nombreux, c'était à ne pas douter. Je n'avais même pas eu le temps de refermer la porte d'entrée de mon nouveau chez moi, que leurs cris avaient résonné dans la pièce, tout autant que dans mes tympans. Voilà pourquoi mon frère m'avait presque supplié de lui filer mes clés de mon appartement, d'une manière tout à fait ingénieuse je devais l'avouer. Quoi qu'il en soit, je m'étais bien faite avoir. Un large sourire s'était niché sur mon visage, preuve qu'ils avaient réussit leur objectif, à savoir me faire plaisir. Une main se posa sur mon épaule, je me tournai et tombai nez à nez avec ma meilleure amie Alice, que je pris aussi vite dans mes bras.
« Vous êtes géniaux. J'ai de la chance de vous avoir. » Lui lançai-je alors, à elle et au reste des invités qui buvaient tous, profitant déjà de l'ambiance festive. Alice sourit.
« On voulait te faire quelque chose de mémorable pour tes vingt ans, parce que c'est ce que notre jolie Russe préférée mérite, après tout. » Me dit-elle en clignant de l'oeil. Cela faisait trois ans que j'avais quitté la Russie pour venir m'installer en Georgie avec ma mère et mon frère. Nous maitrisions tous les trois parfaitement l'anglais, la langue ne fut donc pas un problème. Le contraste culturel fut plus délicat mais avec l'aide de mon frère, de tous ces gens géniaux, je m'étais rapidement faite à l'Amérique. Après avoir salué et remercié presque tout le monde, je tombais nez à nez avec un grand brun, dont j'ignorais l'existence. Tenant dans sa main droite une coupe de champagne, il me regarda avec un petit sourire en coin, indéniablement charmant. Et mystérieux. Je m'approchai, intriguée, vers lui.
« On se connait ? » Question idiote, j'étais certaine de ne pas le connaître, même si sa tête me disait quelque chose, très vaguement. Après avoir laissé planer le mystère quelques secondes, l'inconnu prit la parole, et sa voix fut tout aussi charmante que le reste de sa personne.
« Ton frère avait peur de s'ennuyer à l'anniversaire de sa toute petite soeur, alors... Je me suis dévoué pour l'accompagner. » Je compris qu'il citait les paroles de mon frère en prononçant "toute petite soeur" et cela me fit brièvement rire. Il était donc un ami d'Aleksander. J'aurais dû y penser plus tôt, il devait en effet avoir trois ou quatre ans de plus que moi.
« Je vois. Enfin ce n'est pas comme si mon frère ne connaissait personne ici... Ni comme s'il était timide... » Non, mon frère était un gars vraiment sociable, qui ne manquait jamais l'occasion de faire de nouvelles connaissances. Son ami sourit avant de recroiser mon regard. J'attendais une réponse, les bras croisés sur ma poitrine.
« Très juste. Peut-être que j'avais simplement envie de venir, alors. Et je ne suis pas déçu... » Me murmura-t-il en approchant ses lèvres de mon oreille. Son regard était assez déstabilisant, mais le pire était certainement son sourire, que je fixai furtivement avant de sentir une main attraper la mienne. C'était Aaron, mon petit ami, qui vint se serrer à moi avant de m'embrasser sur le coin des lèvres. Je ne pus voir le regard de l'ami de mon frère à ce moment-là, mais cela m'aurait intéressée, avec du recul. Et peu après, c'est mon frère qui débarqua et posa sa main sur l'épaule de...
« Thomas, mon pote ! T'as fait la connaissance de ma charmante toute petite soeur. Enfin, charmante, c'est juste pour la formule. » Sur ces paroles, je n'hésitai pas à lui donner un coup sur son bras.
« T'es le seul qui ne me trouve pas charmante, cherchez l'erreur. » Il m'adressa un petit sourire signifiant "mais oui mais oui" et mon regard lui envoya rapidement un "t'es nul". Pendant ce temps, Aaron était parti retrouver des amis à nous, me laissant à nouveau seule en compagnie de Thomas. J'eus l'envie soudaine de boire quelque chose. Tout le monde buvait autour de moi, et je n'avais pas encore avalé une seule goutte d'alcool. En moins de deux, ma main se leva et attrapa le verre de Thomas. J'étais culottée, on me le disait souvent.
« Tu permets ? » Je n'attendais pas sa permission pour boire deux ou trois gorgées, et je lui rendis son verre. Il rit et but à son tour.
« Alors, tu fais médecine, comme Alek ? Tu es dans sa classe ? » Thomas sourit et me regarda avec insistance. Ou peut-être que son regard était naturellement insistant..
« Tu es bien curieuse, alors qu'on a tout notre temps. Et puis ce soir, c'est ton anniversaire, ne parlons pas d'études. » Je l'observai poser son verre sur la petite table du salon avant de revenir vers moi, sa main dirigée vers la mienne. Danser avec lui. Visiblement nous avions le temps pour parler des études, mais pour ça... Déjà, il m'entrainait au milieu des autres danseurs et je me laissai guider dans cette danse joyeuse, qui ne ressemblait pas à grand chose, mais peu importait. A un moment, je croisai le regard de mon petit-ami, visiblement jaloux. Les quelques gorgées de champagne m'étaient rapidement monté à la tête, et je n'en tins pas rigueur, continuant à danser avec Thomas. Je ne faisais strictement rien de mal. Non, la danse, c'était le bien, la meilleure des choses.
« Alek m'a dit que tu étais dans une école de danse. Je voulais vérifier... » Il me fit rire, évidemment ce n'était pas le genre de musique et surtout de soirée où j'allais épater la foule.
« Ne te moque pas, veux-tu. Et puis.. c'est injuste, tu as une longueur d'avance sur moi ! » Il m'adressa un large sourire.
« Toi en tout cas, c'est sûr que tu n'es pas danseur. » Il fit mine de s'offusquer, ce qui me fit rire davantage. Son visage s'adoucit rapidement et sa main dans le bas de mon dos m'incita à me rapprocher plus de lui. Il vint me murmurer quelques mots à l'oreille.
« Non en effet, mais si un jour tu pousses trop loin tes limites physiques, je serai la personne qui t'aidera à te remettre en état. » Kiné, il voulait être kiné. Moi qui cherchais inlassablement dans quelle branche le mettre, je trouvais en effet que ce métier lui allait plutôt bien.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Je ne pensais pas que la vie me réserverait à nouveau une perte. Parce que la première était trop dure à combler, trop destructrice, j'eus l'impression de m'enterrer sous terre après l décès de mon frère, en juin 2011. Aleksander avait toute la vie devant lui, il le savait et en profitait comme si chaque jour étale dernier. Il était tellement doué en matière d'épicurisme, ça m'épatait jour après jour. Thomas et lui étaient rapidement devenus les meilleurs amis du monde, toujours à faire les deux cents coups ensemble. Ils se disaient tout, comme deux frères. C'était d'ailleurs grâce à Thomas qu'il avait rencontré Leighton, dont il était tombé éperdument amoureux. Parce que le destin ne frappe jamais assez, il fallait que Leighton soit avec lui dans cet avion en juin 2011. Ils avaient 27 ans. Aucun d'eux ne survécurent. Aucun d'eux ne pensait qu'une telle chose pourrait leur arriver, surtout pas à eux, qui débutaient dans la vie, heureux, épanouis et surtout parents. Oui, ils laissèrent une petite fille de quatre ans derrière eux. Ma nièce Juliet ne comprit pas ce qui se passa et je me retrouvai impuissante, devant cette petite fille que je connaissais pourtant très bien. Ma mère avait déménagé, préférant retrouver sa Russie d'origine, mais elle put la garder pendant deux mois, le temps que je parte me ressourcer quelque part, nulle part. Je ne savais pas, je ne savais plus. Thomas insista pour m'accompagner. Lui aussi en avait besoin, terriblement besoin. Entre nous, cela avait toujours été un jeu du chat et de la souris, c'était agréable comme ça. Mais sans ma mère dans les parages, celle qui m'avait aidé après le décès de mon père, et sans mon frère qui aurait fait n'importe quoi pour moi nuit et jour, je n'avais plus rien à quoi me raccrocher. Thomas me fut précieux pendant ces deux mois sur les routes américaines. Je ne pouvais cesser de penser à Jules cependant, qui venait de perdre ses deux parents, d'un seul coup. Mon futur se traçait sous mes yeux. Je ne réalisais toujours pas que j'allais me retrouver avec une enfant chez moi, sous ma responsabilité. Tout faire pour elle, comme si elle était ma propre fille. Ces paroles résonnaient dans ma tête. L'amour allait m'aider, il allait être notre force, je n'avais pas le choix, Juliet n'avait pas le choix. La vie devait continuer. En réalité, elle ne faisait que commencer pour elle.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Nous étions un dimanche matin de décembre 2011, le soleil était déjà bien haut dans le ciel et ses rayons venaient taper contre la fenêtre de la cuisine. J'étais déjà en train de préparer le repas du midi, en y mettant toute mon attention étant donné que j'avais Thomas qui venait manger, lorsque mon prénom résonna dans l'appartement. Lâchant ce que j'étais en train de faire, je me dirigeai sans attendre dans la chambre voisine à la mienne.
« Qui c'est qui a fait une grasse matinée ? » Demandai-je en souriant, m'approchant du lit de Juliet. Elle essayait d'ouvrir ses yeux.
« Oh, c'est difficile. » Je l'embrassai sur son front, avant d'actionner les volets pour les remonter quelque peu. Juliet tendit ses bras vers moi, ce qui signifiait "porte-moi", évidemment. Alors je m'exécutai, me rappelant du plaisir d'être porté le matin au réveil. Puis silencieusement, je me rendis dans la cuisine où je la posai sur un siège, avant de lui servir son petit déjeuner. Elle se mit à boulotter, en vraie gourmande du matin qu'elle était. Je me remis à ma cuisine, à côté d'elle. Comme toujours, elle me regardait faire.
« Tu cuisines ? » Demanda-t-elle avec une petite voix et de grands yeux candides, comme si c'était exceptionnel, ce qui me fit sourire.
« Oui, je cuisine. Thomas va venir manger avec nous ce midi. Tu es contente ? » Je la regardai pour voir sa réaction, qui fut enjouée comme toujours. Elle se mit à balancer ses deux jambes.
« Oui ! Je vais faire l'avion, encore. » Ah oui, bien sûr. J'appréciais cet entrain qu'elle exprimait à la venue de Thomas. Depuis le décès de mon frère, nous nous étions rapproché significativement. J'avais eu besoin de lui pour parler de mon frère, pour avoir quelqu'un qui me comprenne, et c'était réciproque. Il était tendre avec moi, comme avec Juliet et parfois, je me surprenais à désirer plus de lui. Je sentais qu'il éprouvait les mêmes choses. Après tout, depuis le début, un jeu du chat et de la souris s'était construit entre nous. Les années avaient passé, rien n'avait changé à ça. Cela faisait quelques semaines que je n'étais plus avec Aaron. Les derniers mois avec lui furent de toute façon pauvres en complicité, et en amour. Je ne me reconnaissais plus avec lui, il fallait y mettre un terme. Nous étions visiblement d'accord là-dessus.
« Bonjour la compagnie ! » Cria Thomas qui venait d'entrer dans la maison. Jules tendit ses bras pour un bisou, qu'il lui donna avant de s'approcher de moi pour m'embrasser sur la joue.
« Tu es en avance ! C'est la bonne odeur du gratin qui t'a attiré hein ? » Il acquiesça en souriant et s'assit sur la chaise en face de Juliet. Cette dernière le regarda d'un mauvais oeil lorsqu'il lui piqua quelques céréales. Regard à quoi il répondit en haussant les sourcils.
« Méchant. » Il adorait l'embêter.
« Non, je ne suis pas méchant.. Et toi, tu es gentille, tu partages avec un ami. » Dit-il en lui pinçant la joue. Ces scènes étaient agréables. J'estimais qu'il était important pour elle d'avoir une présence masculine à la maison de temps en temps. Puis elle le connaissait déjà bien avant le décès de ses parents, alors c'était d'autant plus bien.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Aujourd'hui, la vie est plutôt calme. Les démons du passé s'introduisent de temps en temps dans nos journées ou nuits, à Juliet et moi, mais globalement, on s'en sort. J'essaye d'être le plus présente possible pour elle, mais je n'ai pas pu éviter l'emploi du baby-sitter de temps en temps, quand l'Atlanta Ballet me garde tard le soir. Je n'ai pas vraiment le choix en tant que membre de la troupe et chorégraphe, mais ce métier me plait vraiment énormément alors ces heures se font avec plaisir. La petite est en maternelle et d'après l'institutrice, les journées se passent plutôt bien pour elle. Quant à Thomas, on se voit de temps en temps aussi, et chaque fois c'est avec impatience que j'attends de le revoir...